• Trente-sept livres de barbaque.

    C'est un rituel immuable, une tradition secculaire, presque un dogme religieux : ce soir c'est barbecue. La graisse est prête à fondre, à gicler hors des chipolatas et à recouvrir la moindre parcelle de nos corps. Elle chauffe, enfle, chante, siffle, coule et s'infiltre dans nos tissus, nos veines, notre sang, notre âme.

    Comme chaque année, les rôles sont distribués et magnifiquement interprêtés. Le mien est plus ou moins envié. Tout dépend de comment on voit le barbecue. Le barbecue est avant tout une question de ressenti, de vibrations. Mon rôle est avant tout une question de sacrifice, de résistance à la douleur, d'amour des responsabilités, et surtout d'une irrésistible envie de reconnaissance. Ce soir je serai le Maître du Feu.

    La technique ne varie pas. Toujours les mêmes étapes scrupuleusement suivies, à la lettre, sans faute, vestiges d'un des derniers enseignements oraux, transmis de père en fils, depuis la nuit des temps. Le barbecue c'est l'Alchimie retrouvée.

    Les braises rougissent la nuit noire, la chaleur étouffe l'air frais du crépuscule. La lumière rouge et noire danse sur le charbon ardent. L'homme maîtrise l'enfer quand il maîtrise le feu. Mon instinct se réveille et mes yeux pleurent dans la fumée piquante que dégage la couche de graisse centenaire qui recouvre la grille mise à chauffer au-dessus de l'âtre. Des générations d'hommes à la recherche de cet instant ont déposés sur cette grille la graisse qui les a eux-mêmes fait pleurer. Chacun transmet à son prochain la brûlure du feu, la douleur de la fumée, ses larmes de chaleur.

    La viande hurle et pleure sur la grille. Elle se tord, elle résiste, elle crache, elle geint, puis se rend. La vianded ne meurt jamais. Sur l'animal comme sur la grille, je me bat sans cesse avec elle. Et elle capitule.

    Les chasseurs viennent de tuer un mammouth et c'est toute la communauté qui s'en réjouit. Ce que pouvaient ressentir nos aïeux troglodytes, nous le ressentons encore aujourd'hui. Je me suis battu avec le feu, la chaleur et la fumée. La viande est prête à être consommée. Le Maître du Feu a rempli son devoir. Il porte sur lui les marques de sa bataille, les brûlures causées par les projections de graisse, les yeux rouges et brillants, la gorge sèche et l'odeur mêlée de la sueur et du feu. Le barbecue est un duel qui ne se termine que par la mort de l'un ou l'autre. Les braises agonisent et s'éteignent sous les yeux du vaiqueur, humble et satisfait.

    Chacun de nous fait honneur à la Nature en engloutissent goulument ses deux livres de viande grasse et brûlante. Les doigts lubrifiés de graisse glissent sur les manches des guitares d'où sortent des notes suaves et chaudes comme l'air. La musique fini de nous rassasier. Elle nous sert d'éxutoire. Les voix, tantôt lourdes, tantôt éraillées, exorcisent notre honte de satisfaction animale.

    Bientôt le barbecue n'est plus qu'un souvenir. L'alcool me transporte au-dessus de mon corps et je vole. Je flotte plus exactement. Le bruit est assourdissant et fait vibrer mes entrailles. Le feu est en moi. Il n'en fini plus de brûler dans mon ventre, ma tête, mon coeur et mes yeux. Je dois faire sortir toute cette énergie, alors je chante et je danse. Je regarde mes amis et me vide de mon amour pour eux. Je les prends par la main et nous flottons ensemble, perdus entre ciel et terre. Les étoiles n'ont jamais été aussi proches de nous. Je ressens toutes les énergies de chacun, nous partageons tous une partie de la magie de cette lutte que fût le barbecue. J'ai chaud !!! Je brûle !!!

    Puis l'air deviens froid, glacial. Mon âme se calme, se repose et s'éteind. On ne gagne jamais vraiment contre le feu. Il nous possède et nous envoute. Il nous rend fou. Tout s'éteind, le feu de l'enfer, le feu de l'âme, le feu du coeur. Mais pour chaque feu qui disparait, un autre s'allume. Et puis il reste les souvenirs, les cicatrices du coeur.

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